Histoire: Pierre Seel

Pierre Seel 
(16 août 1923 - 25 novembre 2005)


Pierre Seel est né le 16 août 1923 à Haguenau en Alsace. Il grandit dans une famille bourgeoise et catholique de Mulhouse et, dès l’adolescence, Pierre vit en cachette son homosexualité dans les bois de sa ville. En 1939, il y perd sa montre et va alors porter plainte auprès de la police qui, comprenant ce qu’il faisait sur ce lieu, ajoute son nom dans le fichier des homosexuels du commissariat. Deux ans plus tard, en 1941, l’Alsace est rattachée à l’Allemagne nazie. La Gestapo trouve le nom de Pierre Seel dans le fichier et arrête le jeune homme le 2 mai, alors qu’il n’a que 17 ans. Pendant deux semaines, il est interrogé, torturé, violé. Les nazis le questionnent sur son homosexualité et sur les autres personnes dont les noms figurent sur la liste.

Puis, finalement, Pierre Seel est déporté le 13 mai 1941 au camp de concentration du Struthof à une trentaine de kilomètres de Strasbourg. Sur son pyjama, les nazis accolent la barrette bleue des religieux en raison de ses origines catholiques, à la place du triangle rose des homosexuels. Là, Pierre Seel découvre l’horreur et une humiliation sans fin. Il ne connaît pas l’aide de ses co-détenus car les homosexuels sont considérés comme des parias au sein même du camp, placé au plus bas de la hiérarchie.

Un matin, alors que tous les détenus sont rassemblés dans la cour du camp, Pierre voit arriver son ami Jo, son premier amour. Sous ses yeux plein de larmes, Jo est assassiné sauvagement par les SS qui lâche sur lui une meute de chiens. Un traumatisme qui le hantera sa vie entière.

Au mois de novembre 1941, Pierre Seel sort du camp de Struthof. Considéré comme citoyen allemand du fait de l’annexion de l’Alsace au Reich, il est envoyé au Arbeitsdienst puis incorporé de force dans l’armée allemande. Comme les « Malgré nous », il combat sur le front de l’Est et en Yougoslavie. Durant l’hiver 1944, Pierre Seel parvient à déserter. Il se livre aux Russes avant d’être accueilli par la Croix Rouge qui le ramène en France.

Mais à la souffrance des camps et de la guerre succède celle du silence. Pierre Seel ne peut raconter son histoire, raconter le motif véritable de son arrestation. L’homosexualité est condamnée en France depuis 1942 et Pierre craint les réactions familiales. Il se marie donc en 1950 et il a quatre enfants durant son mariage long de 28 ans.

Pierre Seel sort de son silence en 1982 pour réagir aux propos éminemment homophobes de l’évêque de Strasbourg qui qualifiait les homosexuels « d’infirmes ». Il publie une lettre ouverte et dévoile ainsi à sa famille son homosexualité. Dès lors, il s’engage dans un combat pour la mémoire, pour la reconnaissance de la déportation dont il a été victime avec des milliers d’autres. En 1994, il publie sa biographie avec l’aide de Jean Le Bitoux afin que son expérience ne soit pas oubliée. En France et en Europe, Pierre Seel témoigne et tente de faire reconnaître la vérité de l’histoire, malgré les refus des autorités françaises.

Son combat et son témoignage restent essentiels dans la mise au jour de cette réalité oubliée. Actuellement, Pierre Seel est le seul déporté homosexuel français à avoir témoigné.




Pierre Seel, témoin de l'horreur, parle...

Vous pouvez retrouver un document sonore mis en ligne par France Inter : c'est une interview de Pierre Seel réalisée par Daniel Mermet en 1993 dans son émission "Si c'est un homme ?" :
http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=295071

Et bien, sûr le témoignage de Pierre Seel dans son ouvrage :
  « Des jours, des semaines, des mois passèrent. De mai à novembre 1941, je vécus six mois de la sorte dans cet espace où l'horreur et la sauvagerie étaient la loi. Mais je tarde à évoquer l'épreuve qui fut la pire pour moi, alors qu'elle se passa dans les premières semaines de mon incarcération dans le camp. Elle contribua plus que tout à faire de moi cette ombre obéissante et silencieuse parmi d'autres.
  Un jour, les haut-parleurs nous convoquèrent séance tenante sur la place de l'appel. Hurlements et aboiements firent que, sans tarder, nous nous y rendîmes tous. On nous disposa au carré et au garde-à-vous, encadrés par les SS comme à l'appel du matin. Le commandant du camp était présent avec tout son état-major. J'imaginais qu'il allait encore nous assener sa foi aveugle dans le Reich assortie d'une liste de consignes, d'insultes et de menaces à l'instar des vociférations célèbres de son grand maître, Adolf Hitler. Il s'agissait en fait d'une épreuve autrement plus pénible, d'une condamnation à mort.

  Au centre du carré que nous formions, on amena, encadré par deux SS, un jeune homme. Horrifié, je reconnus Jo, mon tendre ami de dix-huit ans. Je ne l'avais pas aperçu auparavant dans le camp. Etait-il arrivé avant ou après moi ? Nous ne nous étions pas vus dans les quelques jours qui avaient précédé ma convocation à la Gestapo. Je me figeai de terreur. J'avais prié pour qu'il ait échappé à leurs rafles, à leurs listes, à leurs humiliations. Et il était là, sous mes yeux impuissants qui s'embuèrent de larmes. Il n'avait pas, comme moi, porté des plis dangereux, arraché des affiches ou signé des procès-verbaux. Et pourtant il avait été pris, et il allait mourir. Ainsi donc les listes étaient bien complètes. Que s'était-il passé ? Que lui reprochaient ces monstres ? Dans ma douleur, j'ai totalement oublié le contenu de l'acte de mise à mort.


  Puis les haut-parleurs diffusèrent une bruyante musique classique tandis que les SS le mettaient à nu. Puis ils lui enfoncèrent violemment sur la tête un seau en fer blanc. Ils lâchèrent sur lui les féroces chiens de garde du camp, des bergers allemands qui le mordirent d'abord au bas-ventre et aux cuisses avant de le dévorer sous nos yeux. Ses hurlements de douleur étaient amplifiés et distordus par le seau sous lequel sa tête demeurait prise. Raide et chancelant, les yeux écarquillés par tant d'horreur, des larmes coulant sur mes joues, je priai ardemment pour qu'il perde très vite connaissance. Depuis, il m'arrive encore souvent de me réveiller la nuit en hurlant. Depuis plus de cinquante ans, cette scène repasse inlassablement devant mes yeux. Je n'oublierai jamais cet assassinat barbare de mon amour. Sous mes yeux, sous nos yeux. Car nous fûmes des centaines à être témoins. Pourquoi donc se taisent-ils encore aujourd'hui ? Sont-ils donc tous morts ? Il est vrai que nous étions parmi les pus jeunes du camp, et que beaucoup de temps a passé. Mais je pense que certains préfèrent se taire pour toujours, redoutant de réveiller d'atroces souvenirs, comme celui-ci parmi d'autres.

     Quant à moi, après des dizaines d'années de silence, j'ai décidé de parler, de témoigner, d'accuser. »

Extrait de Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel