05/03/2024 - Tribune Le Monde "Homosexualité : « La longue répression de l’Etat ne peut se résumer en un article symbolique, elle mérite reconnaissance et réparation »"

 

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Homosexualité : « La longue répression de l’Etat ne peut se résumer en un article symbolique,
elle mérite reconnaissance et réparation »

TRIBUNE
Collectif


Alors que la proposition de loi portant réparation des condamnations pour homosexualité entre 1945 et 1982 a été largement amputée par le Sénat, des représentants et représentantes d’associations de défense des personnes homosexuelles appellent les députés, dans une tribune au « Monde », à rétablir l’intégrité du texte qui devrait être adopté à l’Assemblée le 6 mars.

Le 5/3/2024 à 12h30, modifié à 13h08


L’histoire de la répression de l’homosexualité par l’Etat en France a été longtemps ignorée. Malgré les travaux d’historiens et d’historiennes, cette réalité reste, aujourd’hui encore, souvent voilée par l’illusion d’un pays qui n’a jamais eu de « paragraphe 175 » dans son code pénal. Alors que le crime de sodomie a été supprimé en 1791, la persécution des personnes homosexuelles s’est appuyée, presque deux siècles durant, sur des contorsions juridiques autour des articles du code pénal de 1810 réprimant l’outrage public et l’attentat à la pudeur.

Dans la plupart des cas documentés, l’outrage n’avait rien de public – mais c’était la parole d’un agent assermenté contre celle d’un citoyen ou d’une citoyenne – et la « pudeur » était hétéronormée. Avec la loi du 6 août 1942, le régime de Pétain ajouta à l’arsenal légal une différence de majorité sexuelle entre relations hétérosexuelles (13 ans) et relations homosexuelles (21 ans).

A la Libération, le gouvernement provisoire estima que « cette réforme (…) ne saurait, en son principe, appeler aucune critique » et la prorogea, faisant sienne l’homophobie d’Etat affirmée en 1942. En 1960, c’est le gouvernement de Michel Debré (1912-1996) qui trouva un combat à sa mesure dans une lutte contre une « démocratisation de l’homosexualité » (sic) déclarée « fléau social ».


Une proposition de loi après un aussi long silence

L’ordonnance du 25 novembre 1960 crée une circonstance aggravante d’homosexualité qui double les peines encourues pour outrage public à la pudeur. Cette législation homophobe a entretenu et légitimé la mise au ban des personnes lesbiennes, gays, bi, trans et intersexes (LGBTI+) dans un climat de haine à leur égard. Il a fallu qu’un mouvement militant se lève au début des années 1970 pour que ce consensus social délétère commence à se fissurer et que cet arsenal juridique « républicain » soit mis à bas en 1980 puis 1982.

Des dizaines de milliers de personnes homosexuelles ont été arrêtées, souvent avec violence, souvent piégées dans des guet-apens policiers sur des lieux de rencontre ou dans des établissements, comme aux bains de la rue Poncelet en 1926 ou au bar Le Manhattan en 1977. Ces personnes ont comparu et ont été condamnées à des peines de prison, à des amendes. L’atteinte à la dignité qu’était le traitement judiciaire de la vie affective et sexuelle, donc privée, était aggravée si un article d’une presse gourmande de faits divers livrait à la vindicte l’identité et le lieu de résidence de ces condamnés injustement.

Quarante ans après la loi du 4 août 1982 et quatre-vingts ans après celle du 6 août 1942, Hussein Bourgi, sénateur de l’Hérault, a déposé une proposition de loi « portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité ». Un premier pas attendu de longue date et qui va dans le bon sens, après un aussi long silence.


La tâche qui attend les députés est grande

Une fois cette proposition examinée par le Sénat, le 22 novembre 2023, il n’en reste que la page de couverture et l’article 1. Votée à l’unanimité, elle a été réduite à une proclamation compassionnelle à propos des effets de lois discriminatoires, « source de souffrance et de traumatisme ». Or, cette législation et ces politiques publiques répressives constituèrent d’abord des atteintes à la dignité humaine des personnes, à leurs droits fondamentaux de vivre et aimer librement.

La proposition de loi est à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, le 6 mars 2024. La tâche qui attend les députés est grande. La longue répression de l’homosexualité par l’Etat, incluant près de 200 déportations pendant la seconde guerre mondiale, ne peut se résumer en un article symbolique, elle mérite reconnaissance et réparation. Il en va de l’histoire et de nos mémoires.

C’est ce qu’ont déjà fait l’Allemagne (2000, 2002, 2017), l’Espagne (2007), le Royaume-Uni (loi Turing de 2016) et l’Autriche (2024). Suivant ces expériences, et face au fatras juridique et administratif qui a habillé la répression en France, une commission indépendante – initialement proposée par Hussein Bourgi – est nécessaire pour instruire individuellement les demandes.


Pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité

Cette proposition de loi est aussi l’occasion d’éclaircir le traitement du négationnisme de la déportation pour motif d’homosexualité. Les faits sont clairement établis et le consensus historique est là. Mais les juges sont encore hésitants à le sanctionner. Il est grand temps que le législateur crée un délit permettant de réprimer la négation de cette déportation.

Voter une loi de reconnaissance et de réparation, c’est affirmer que la puissance publique n’était pas, n’est pas et ne sera jamais dans son rôle en cherchant à réprimer la vie des personnes en se fondant sur leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Voter une loi de reconnaissance et de réparation de cette homophobie d’Etat, c’est aussi peser utilement dans le trop lent travail mondial pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité, que la France entend promouvoir à l’international.

En enrichissant le texte transmis par le Sénat, les députés seront à la hauteur de la mission que leur fixait Gisèle Halimi le 20 décembre 1981 : « Des femmes et des hommes qui devraient avoir l’intelligence de nos libertés fondamentales puisqu’ils sont chargés de les défendre. » Elle plaidait alors à la tribune du Palais-Bourbon pour l’abrogation de la loi du 6 août 1942 encore en vigueur.


Les signataires de la tribune : Flora Bolter, codirectrice de l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean Jaurès ; David Ćupina, président des Oublié·es de la mémoire ; Joël Deumier, coprésident de SOS Homophobie ; Kévin Galet-Ieko, président de la Fédération LGBTI+ ; Véronique Godet, coprésidente de SOS Homophobie ; Denis Quinqueton, codirecteur de l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean Jaurès ; Sophie Roques, présidente d’HES-Socialistes LGBTI+