Le MDH tient à rendre hommage à l'historien Michael Sibalis, décédé le 9 avril 2019 des suites de cancer, en reprenant un texte publié par Prof. Liana Vardi. M. Sibalis était professeur à l'université canadienne Wilfrid Laurier, qui lui a également rendu hommage.
Nous mettons ensuite plus bas un autre texte de son ami Gérard Koskovich
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Texte de la Prof. Liana Vardi
Posté sur la liste de diffusion H-France le 10.4.2019
C’est avec beaucoup de tristesse que je vous annonce le décès de Michael Sibalis à l’âge de 69 ans à Kitchener, en Ontario, où il enseignait l’histoire de France à l’université Wilfrid Laurier. Michael était un chercheur de premier ordre et ses contributions, toujours minutieuses, englobent l’histoire des artisans parisiens au XIXe siècle, leurs associations mutuelles, la police napoléonienne, et l’histoire de l’homosexualité en France, sujets sur lesquels il a publié de nombreux articles. Mentionnons, entre autres, la collection éditée avec Jeffrey Merrick, Homosexuality in French History and Culture (2001). Michael adorait les archives et suivait des pistes dans tous les coins de la France, malgré l’ennui que la province lui inspirait. Je me souviens de son plaisir lorsqu’il a finalement retrouvé l’acte de naissance de la femme d’André Troncin, l’artisan tailleur dont il préparait la biographie.
Pour lui, la France était Paris. Il y possédait un petit studio dans le IIIe arrondissement où il passait chaque été. Parisien d’adoption, il en connaissait tous les recoins. Il aimait s’y balader et retrouver les traces du passé. Je me souviens qu’il m’a signalé, en 1972, la maison où Danton avait habité, ce qui m’était, je l’avoue, plutôt indifférent. Michael a été amené à l’histoire, comme moi, par les romans historiques, mais si j’en suis restée au Dumas de l’ancien régime, la romance de la Révolution l’a finalement séduite. Il a longtemps était fasciné par Napoléon, qu’il admirait et détestait à la fois. C’est le Napoléon de l’intérieur qui l’intéressait et surtout sa machine répressive. Mais il collectionnait aussi des livres rares, des pamphlets, et des images de Napoléon à Sainte-Hélène. Il espérait y aller un jour. Michael possédait un buste de l’empereur et même une mèche de ses cheveux, qu’il n’a finalement plus ressortis de leurs cartons. C’est au moment, il me semble bien, où il a commencé à s’intéresser à la vie des homosexuels en France, question qu’il a abordée sous de nombreuses facettes. Comme il n’aimait pas “la théorie”, Michael sondait les aspects concrets de ce vécu: ses lieux, ses règles et ses batailles (où il a combattu lui-même). On retrouve ce travail dans 35 articles éparpillés dans des revues scientifiques, actes de colloques, notices, et chapitres de livres qu’il n’a pas eu le temps de réunir en un livre. Michael était un membre actif de la French Historical Society and la Western Society for French History, où il a siégé comme membre des comités exécutifs. Il participait aux réunions annuelles, une figure facilement reconnaissable, tout d’abord par ses pullovers. Il connaissait beaucoup de monde et beaucoup de chercheurs ont bénéficié de sa générosité. Il notait des documents qui pouvaient les intéresser. Il répondait toujours aux demandes de sources. Cette curiosité et ce désir de savoir sont innés. On les transmet difficilement, ce que Michael et toute sa génération, notre génération, a découvert à son grand étonnement. Il adorait enseigner. Il était toujours à la hauteur de la performance que ce soit dans ses cours ou dans ses communications. Il démontrait une grande aisance, de l’humour, tout en gardant un sens critique. Il était bourré de “connaissances”: tout sur la Révolution française ou le régime de Vichy, qu’il enseignait régulièrement. Et de petits détails: dernièrement, en regardant la série anglaise Victoria, il m’a appris qu’en fait la reine d’Angleterre aimait beaucoup sa demi-soeur. Ah bon? J’ai rencontré Michael il y a 47 ans alors qu’il terminait sa maîtrise à l’université Concordia et moi ma license à McGill. Nous avons maintenu le contact parce que nous étions tous deux historiens de la France, Montréalais, que nous passions pas mal de temps à Paris, et que nous nous couchions tard. Comme lui, j’ai fait ma maîtrise à Concordia sous la direction de George Rudé. Il y est resté pour son doctorat. Je suis retournée à McGill. On se voyait tous les jours à Paris et on dînait ensemble dans les colloques. J’habitais chez lui quand je faisais mes recherches. Il était généreux là aussi. On pouvait loger dans l’appartement quand il n’était pas là. Les mots me manquent pour exprimer à quel point il va me manquer: pour son savoir, pour ce plaisir partagé de herrer dans les librairies, pour son goût execrable en musique, pour le plaisir qu’il prenait à se mijoter des petits plats, pour tout ce qu’il savait sur Proust, pour son amour des langues et du mot juste, pour tout ce qu’on pouvait se raconter, et pour tout ce qu’il cachait. Liana Vardi Professeur d’histoire University at Buffalo, SUNY |
Nous mettons ensuite plus bas un autre texte de son ami Gérard Koskovich :
In Memoriam Michael Sibalis (1949-2019) : Professeur D'histoire à Wilfred Laurier University et l'un des plus grands spécialistes de l'histoire de l'homosexualité en France et de la police secrète sous Napoléon. Michael est mort d'un cancer ce matin à Kitchener, en Ontario, où il a fait sa maison. Il avait 69 ans.
J'ai rencontré Michael pour la première fois il y a un peu moins de 20 ans. Nous nous sommes rencontrés après avoir répondu par courrier électronique à une brève critique que j'avais publiée en ligne et commentant son chapitre sur Paris dans l'anthologie de 1999 intitulée "Queer Sites: Gay Urban Histories Since 1600".
La prochaine fois que nos séjours à Paris se sont chevauchés, nous avons eu un magnifique dîner et nous sommes partis de là pour nouer une amitié chère. Avec Michael au Canada et moi à San Francisco, nous nous sommes vus rarement en personne, mais toujours avec un grand plaisir. Et nous étions régulièrement en contact par e-mail.
Parmi les autres rencontres, nous étions les deux seuls orateurs étrangers à la mémoire de notre ami Jean Le Bitoux (1948-2010) à Paris. Nous sommes allés à Marseille ensemble en 2013 pour Europride, où je me suis présenté. Il y a quelques années, nous avons eu plaisir à explorer un salon du livre ancien à Paris. Et nous avons déjeuné plusieurs fois au bar-restaurant Open Café du Marais.
Michael a été un grand partisan de ses efforts en tant qu'historien public, promoteur des archives queer et concessionnaire dans les matériaux anciens, LGBTQ et français. Il était une source d’idées encourageantes, de critiques solides, d’introductions à des collègues, et de délicieux potins sur les amis communs à Paris et dans le domaine de l’histoire.
Plus d'une dizaine de fois, Michael m'a prêté son petit studio sur la rue chapon pour mes séjours annuels prolongés à Paris à l'automne. Son extraordinaire générosité à cet égard nous a aidé à mettre en place les réseaux sociaux et culturels que j'apprécie en France et à le faire de manière pratique lors du livre des 10 dernières années.
Michael va me manquer énormément. Son amitié m'a été chère - et son conseil toujours sage et souvent rusé en tant que savant et francophile a été inestimable. Adieu, cher Michael. Je vais placer quelques mots dans votre mémoire à la rue chapon quand je serai à Paris le mois prochain.