23/05/19 - Paris inaugure l'allée Pierre Herbart, écrivain, homosexuel et grand résistant


Voici un article qui a été publié sur TETU le 23 mai 2019 :

https://tetu.com/2019/05/23/charles-dantzig-rend-hommage-a-pierre-herbart-ecrivain-homosexuel-et-grand-resistant/#dIV2VVPPj7SQUl2P.99

C'est un texte de l’écrivain et éditeur Charles Dantzig :

L’allée Pierre Herbart est située Square Boucicaut,
dans le VIIe arrondissement de Paris.




Depuis plusieurs années, l’écrivain et éditeur Charles Dantzig se bat pour qu’une rue porte le nom du romancier et résistant Pierre Herbart. C’est désormais chose faite à Rennes et à Paris, dans le VIIe arrondissement, où une allée a été inauguré ce matin, jeudi 23 mai 2019. Dans un très beau texte, Charles Dantzig rend hommage à un auteur méconnu mais précieux. À un homosexuel et un grand résistant dont la vie bat en brèche le fantasme des « gays collaborateurs ».

Je ne crois pas qu’on puisse être un bon écrivain si on ne paie pas sa redevance aux fantômes. Les fantômes, ce sont les écrivains d’avant nous, ceux qui nous ont révélés à nous-mêmes par leurs livres. Nous leur devons cela, et nous devons leur rendre notre dû. Un des fantômes dont je me suis occupé avec le plus de plaisir est Pierre Herbart. Un écrivain fin, très fin, si fin que le très grand public ne le voit pas. Pierre Herbart vit très bien avec l’admiration et l’affection des quelques centaines de lecteurs qui le conservent dans leur bibliothèque, mais il ne perd rien à être mieux connu, et surtout, ce sont les lecteurs qui y gagneront. Après lui avoir consacré quelques pages dans un de mes livres, j’ai passé commande d’une biographie de cet excellent écrivain à un excellent biographe, Jean-Luc Moreau, qui a d’ailleurs reçu le prix de la biographie de l’Académie française pour son livre.

La biographie publiée, je me suis adressé à deux maires de grandes villes en leur suggérant de rendre hommage à Herbart en donnant son nom à une rue. Bertrand Delanoë a engagé la procédure, le sénateur Julien Bargeton a pris le relais, et nous voici réunis pour honorer Herbart à Paris, avec Christophe Girard, maire adjoint chargé de la Culture et qui s’en charge si bien. J’ai le plaisir de vous annoncer que le maire de Rennes a lui aussi donné suite à ma demande, et Herbart a désormais sa rue à Rennes. On peut dire que Rennes et Paris s’illustrent d’illustrer Herbart ; ces rectangles émaillés de couleur verte disent à chacune des deux cités : littérature et honneur.

Herbart est, avant tout, un admirable écrivain. Des romans comme Le Rôdeur et L’Âge d’or, moirés, irisés, délicats, elliptiques, pourraient avoir été écrits dans la Grèce antique. Des essais comme En URSS et La Ligne de force valent au moins autant que le Retour d’URSS de Gide, dont Herbart a été le secrétaire, et La Condition humaine de Malraux, l’un et l’autre ayant comme Herbart été du bon côté, le côté honorable et qui contrairement à ce qu’on dit est facile à trouver, car c’est le côté de l’humain. Herbart a fait partie de cette gauche littéraire humaniste qui a donné de si bons écrivains à l’Europe. De gauche, mais antistalinien, et anticolonialiste de toujours. Et donc très bon français, car il n’est pas dit que coloniser autrui soit la mission de la France.

Herbart, homme aussi nonchalant qu’élégant, n’a pas jugé inélégant de froisser ses vêtements pour la France et pour l’humanité. Il l’a fait au côté des républicains espagnols dès 1936, puis en France durant la Deuxième Guerre mondiale. Et c’est à ce titre aussi que les Parisiens seront réjouis par cette plaque. Elle leur dira qu’il peut exister autre chose, dans cette période si complaisante envers l’abjection, que des penseurs de télévision aboyant leur admiration pour Vichy et des partis financés par des puissances étrangères se présentant tranquillement à des élections dans l’espoir avoué de terrasser la démocratie, cette démocratie qui sait si mal se défendre. Elle le sait mal parce qu’elle n’en a pas l’imagination. La démocratie n’a pas l’imagination des salauds. Et si elle ne l’a pas, c’est que ce n’est pas en elle. Herbart avait de l’imagination parce qu’il était romancier. Il a bien compris ce qui était en jeu, et il est devenu résistant. Nommé délégué général régional pour la Bretagne par le Mouvement de Libération nationale, c’est lui qui a arrêté le préfet de département et le préfet de région, grâce à quoi Rennes a été la première capitale régionale libérée des Allemands.

« Herbart était gay. Et cela contrevenait à une légende. Elle voulait que « les gays » aient été collaborateurs par excitation sexuelle à la vue des militaires allemands. »

« Des hétérosexuels, n’est-ce pas ? »

J’étais bien étonné qu’il y eût tant de rues Pierre Brossolette en France et pas de rue Pierre Herbart. Brossolette a été un héros et il mérite bien entendu ses rues, mais il me semblait trouver quelque chose de douteux dans cette absence. Comme s’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Et en effet quelque chose n’allait pas. Herbart était gay. Et cela contrevenait à une légende. Elle voulait que « les gays » aient été collaborateurs par excitation sexuelle à la vue des militaires allemands. Je voudrais simplement énumérer quelques noms. Pétain. Laval. Brinon. Darlan. Drieu La Rochelle. Rebatet. Céline. Arletty. Chanel. Chardonne. Weygand. Vallat. Henriot. Darnand. Des hétérosexuels, n’est-ce pas. Personne n’en profite pour décider la condamnation de l’hétérosexualité. Herbart a été ce grand résistant, sous le nom de guerre de Le Vigan, et il est bon de le rappeler, à un moment où l’homophobie se déchaîne dans Paris. Et Herbart n’a pas été le seul gay à résister. Daniel Cordier, que nous admirons tous ; Roger Stéphane, futur cofondateur de France Observateur, aujourd’hui L’Obs ; Jean Desbordes, l’écrivain, amoureux de Cocteau, torturé et tué par les Allemands sans avoir parlé. Tant d’autres, et par exemple le fils de Jacques Copeau, l’homme de théâtre, celui du Vieux-Colombier tout proche de ce square Boucicaut où nous nous trouvons. Eh bien, le fils de Copeau, quand il a voulu se présenter à la députation après la guerre, a fait l’objet d’une campagne de calomnie par les anciens de la résistance même, car on ne pense pas à être humain tout le temps. Rien n’est jamais gagné, et il faudra toujours des Herbart.

« Herbart n’a pas été le seul gay à résister »

Je pense que, si le fantôme de Herbart nous regarde, il sourit. Cet homme qui aurait pu faire une brillante carrière politique ou administrative après la guerre s’en est gardé, retournant à sa nonchalance et à la littérature, qu’au fait il n’avait jamais quittée. Il n’aimait pas être en vue, et nous le mettons en vue, pour lui, pour nous. Je ne vous pas de meilleure façon de contrevenir à son profit à ce qu’aurait voulu un défunt, toujours vivant, grâce à cette plaque, grâce à Paris, grâce à ses livres.



Charles Dantzig est l’auteur de nombreux romans (Je m’appelle François, 2007,  Histoire de l’amour et de la haine, 2015) ; d’essais (Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, 2009, Traité des gestes, 2017) ; de poèmes (Démocratie du bord de mer, 2018), tous publiés chez Grasset, où il dirige la collection et la revue annuelle internationale Le Courage. Depuis 2017, il produit et anime l’émission « Personnages en personne » sur France Culture. Son prochain livre, Dictionnaire égoïste de la littérature mondiale sera publié à la rentrée.

crédits images : Fondation Catherine Gide / TÊTU